Le voyageur sait qu’il approche de Mondoubleau, par la route de Souday, quand une sphère grise s’élève au-dessus de la ligne d’horizon. C’est « L’atomium de Mondoubleau » ou « La boule métallique ».
Ces surnoms, mi- ironiques, mi affectueux, désignent le château d’eau sphérique et métallique de la commune. L’originalité de ce château d’eau ne laisse personne indifférent. Devenu inutile, faut-il le détruire ?

L’apparition des châteaux d’eau dans les campagnes est tardive. En Europe, c’est seulement à partir du XIXème siècle que la construction de ces bâtiments va se répandre. La machine à vapeur, grande consommatrice d’eau, impose l’installation de réservoirs le long des lignes de chemin de fer et à proximité des usines. L’utilisation du château d’eau pour l’alimentation en eau potable sera encore plus tardive. En 1930, seulement 23% des communes disposent d’un réseau de distribution d’eau à domicile.
Comme la cheminée d’usine qui fume prouvait le dynamisme industriel d’une cité, le château d’eau démontrait la modernité et l’opulence d’un village.
Cependant, ces bâtiments imposants sont souvent accusés d’enlaidir les paysages. La dimension esthétique ne sera vraiment prise en compte qu’à partir de 1939 avec la création d’un concours d’architecture du comité Hygiène et Eau.
Deux tendances se dégagent alors pour tenter d’intégrer ces édifices aux paysages : celle d’un parti-pris contemporain et celle d’un certain régionalisme qui s’illustre souvent par des camouflages (tour moyenâgeuse, pigeonnier, toiture pointue…).
Le château d’eau du Gault-du-Perche avec son habillage en tour médiévale est un exemple de cette tendance. Mondoubleau a clairement fait le choix de la première option.
Ce réservoir sphérique métallique, érigé en 1969, illustre une certaine vision de la modernité propre aux années 60-70. Les choix des techniques sont aussi représentatifs de cette époque : acier et peinture à l’amiante.
Aujourd’hui, ce château d’eau n’est plus utilisé. Il a été remplacé par un autre, construit en 2018.
La téléphonie mobile a souvent permis de trouver une nouvelle fonction à ces ouvrages devenus obsolètes. Leur emplacement en hauteur en fait de très bons candidats pour supporter des antennes relais.
Mais la conception de ce réservoir, sphérique, le rend inapte à cette fonction. Un mât a donc été construit à proximité du bâtiment pour porter des antennes téléphoniques.
Ce château d’eau à l’abandon, comme les infrastructures du chemin de fer, ont souvent été accusés de détruire le paysage. Pourtant, au fil du temps, ils en sont devenus des points de repère.
Ils sont parfois reconnus comme un marqueur fort du territoire ou de la culture populaire à sauvegarder.
Sur plus de 16 000 châteaux d’eau en France, il n’en resterait que 18 totalement métalliques avec une cuve sphérique. Ce type de réservoir a souvent été construit au sein de complexes industriels pour les besoins de la production. C’est le cas de la « boule Braud » des anciennes usines Braud dans la Loire-Atlantique. Cet établissement produisait des machines agricoles. Un collectif d’anciens salariés s’est mobilisé pour la sauvegarde et l’entretien de la « boule Braud », symbole d’un passé et d’une culture ouvrière disparus. Le réservoir a été repeint. Des visites sont parfois organisées.
Avec son donjon et son riche passé historique, Mondoubleau préfère masquer aux touristes l’originalité de ce château d’eau.
Aucune carte postale ne s’intéresse à ce bâtiment. Le site web de la mairie ne l’évoque pas. Les panoramas ou les vues aériennes de la commune évitent soigneusement cette zone.
Est-ce que Mondoubleau a honte de son passé plus contemporain ?
Pourtant, on peut se demander si ce bâtiment ne ferait pas parti du « vrai » Mondoubleau, bien d’avantage que ces stéréotypes du village percheron figé dans un passé rural idéalisé.

En effet, cette architecture hors norme amuse. Les habitants lui donnent des surnoms. Des artistes locaux s’en inspirent. Elle est même le sujet d’un détournement digital en une montgolfière psychédélique.
Cet édifice est un paradoxe. C’est à la fois un équipement technique, accusé d’enlaidir le paysage, et un marqueur ignoré de la culture populaire. Il contribue à la singularité de la commune, tout comme l’éolienne Bollée à celle d’Epuisay.
Il semblerait que ce château d’eau doit sa survie uniquement au coût élevé de sa démolition qui décourage le syndicat intercommunal de gestion de l’eau.
Cependant la « boule métallique » est un aménagement réalisé il y a moins de 100 ans, dont la conception présente un intérêt architectural et technique. Ce qui correspond exactement à la définition des bâtiments qui peuvent solliciter le label « Architecture contemporaine remarquable ». Ce label délivré par la commission régionale du patrimoine et de l’architecture permet de valoriser un bâtiment notamment dans sa promotion. En France, 1529 bâtiments portent ce label. 8 sont des châteaux d’eau.
Alors que faire de la « Boule Métallique de Mondoubleau » faut-il la démolir ou au contraire la valoriser comme un symbole de notre histoire ?
Aquarelles : Stéphanie Boué
En 2023, cet article a été dépublié, dans une version académique, dans La Lucarne (Atelier collaboratif d’histoire culturelle des sciences et des techniques en société) p128-130